La seconde main favorise-t-elle notre surconsommation ?

 

“Le développement de la seconde main ne s'est jamais fait au détriment de la première main. Ce n'est donc pas une solution.”.

Ces mots ce sont ceux énoncés par Julia Faure, co-fondatrice de la marque Loom, à l’origine du collectif En Mode Climat. ❶ Et elle n’a pas tort Julia ! Avec 2,8 milliards de produits textiles mis sur le marché français en 2020, 3,2 milliards en 2021 et 3,3 milliards en 2022, on ne peut que constater que la production de vêtements, chaussures et linges de maison n’ont fait qu’augmenter ces dernières années. De même que notre consommation qui serait ainsi passée d’une moyenne de 46 pièces achetées par an et par individu, en 2019, à une moyenne de 49 en 2022. ❷

Pourtant, parallèlement le marché de la seconde main s’est bel et bien accru. Avec une croissance en valeur multipliée par 6 en 5 ans, (le marché de la seconde main serait ainsi passé de 1 milliard d’euros en 2018 à plus de 6 milliards d’euros en 2022 ❸) et plus de 20 millions de français.es conquis.es, la seconde main est désormais une habitude shopping bien ancrée. Presque un français sur trois (voire plus selon les diverses estimations) y a succombé. Alors pourquoi peine-t-elle à avoir un impact sur la première main ? Finalement, serait-elle une fausse bonne solution pour nous faire diminuer notre consommation mode et entrainerait-elle, au contraire, une sur-consommation ? 

L’équipe a mené l’enquête, chiffres à l’appui, pour faire le point sur ce phénomène. Affaire à suivre dans la suite de notre article …

Allison pour la French’team.

 

L’achat de seconde main, une motivation surtout pécuniaire.

la seconde main est-elle vraiment éco-responsable

© Karolina Grabowska

Bonne nouvelle ! L’éco-responsabilité est de plus en plus au cœur de nos préoccupations et ce, notamment lors de nos actes d’achat. Ainsi, en 2023, 75% des français.es se disaient soucieux de l’environnement et 86% intégraient cette préoccupation dans leur comportement de consommation. ❹

Pour autant, si notre impact environnemental nous concerne davantage ces dernières années, ne nous leurrons pas : le prix reste le principal déterminant dans nos passages (ou non) à l’acte d’achat. Et cela se confirme aussi lorsqu’il s’agit de seconde main !

Dans son rapport d’activité 2021, le mastodonte de la seconde main en France, Vinted, rapportait que 20% de ses utilisateurs se déclaraient être motivés par des préoccupations écologiques quand 47 % l'utilisent pour… ses prix bon marché ! ❺ On pourrait alors être tenté de se dire que ce phénomène est propre aux consommateurs de cette plateforme et non représentatif de tous les adeptes de seconde main. Pourtant d’autres études corroborent cette tendance. Parmi elles, une étude menée par Ipsos pour Rakuten en 2023, révélait que 69% des sondé.e.s favorisaient la seconde main pour le prix, bien avant l’argument écologique, mis en avant par 46% d’entre elleux.

Ainsi l’achat de seconde main reste avant tout réalisé par souci d’économie, bien que l’argument écologique ne soit jamais absent. Outre l’achat, la revente de produits en seconde main est également motivée par l’appât du gain. Dans un contexte inflationniste, mais aussi tout simplement dans un contexte de démocratisation et de facilitation de l’occasion, revendre ses biens est désormais devenu un réflexe. On ne donne plus, on jette beaucoup moins, on vend ! 

Le prix reste donc encore et toujours la raison première pour laquelle nous sommes de plus en plus nombreux à vendre et à consommer d’occasion. Une raison qui n’est pas fondamentalement mauvaise, mais qui pose son lot de soucis. Pourquoi ? Principalement parce que des achats motivés par des bas prix ont tendance à se démultiplier, c’est d’ailleurs ce que l’on voit aussi avec l’ultra-fast-fashion. Ensuite parce que cette dévaluation du prix réel des vêtements nous détache et nous éloigne de la véritable valeur de ces biens. On s’ancre encore et toujours plus dans l’idée qu’un vêtement ce n’est pas (et ça ne doit pas être) cher et souvent, par extension, que c’est un bien facilement renouvelable et jetable. Ainsi, la seconde main, comme la fast-fashion, pourrait avoir cet effet paradoxal de nous conforter dans l’ultra-consommation, tout cela renforcé par certaines pratiques marketing incentives …

 

Des mécaniques incentives, poussant à l’achat, copiées de la fast-fashion.

Acheter en seconde main, par souci économique, ne devrait pas poser de problème environnemental. Après tout, si l’on achète de la seconde main pour faire des économies, on devrait aussi tout simplement acheter moins. Non ? Eh bien là est tout le paradoxe : il semblerait que les petits prix nous fassent faire… Tout le contraire !

Ce phénomène, ça s’appelle l’effet rebond. Concept économique à l’origine, l’effet rebond traduit ce paradoxe qui nous amène à faire “pire que mieux”, justement parce que l’on croit bien (mieux) faire. Ainsi, en achetant des produits moins chers, on peut vite avoir la sensation de faire des économies, du coup on achète plus. Ce paradoxe qui peut s’observer avec la fast-fashion, ou lors des soldes, la seconde main n’en n’est pas exempte. Dans ce marché très prolifique, on voit d’ailleurs que l’effet rebond est même extrêmement favorisé par les enseignes de seconde main, elles-mêmes, mais aussi les grandes enseignes. On s’explique… 

Vinted, encore lui, n’hésite ainsi pas à utiliser des techniques marketing incentives, issues de la fast-fashion, pour pousser ses utilisateurs au renouvellement quasi-permanent de leur dressing. Leur slogan “si tu ne le portes pas, vends-le” - comme déjà énormément évoqué dans d’autres articles - insinue qu’un achat inutile n’en n’est jamais vraiment un, puisqu’il y a toujours la possibilité de revendre. Mais surtout, Vinted ce sont des notifications à la pelle, nous rappelant les dernières nouveautés, les produits à ne pas manquer, notre liste de favoris repérés mais aussi des messages nous incitant à vendre nos importés pour gagner '“un peu d’argent pour acheter [notre] prochaine pièce de créateur” … Vinted, c’est également une mise en avant bien plus favorable aux comptes qui pratiquent réductions, offres de lot et qui sont hyper-actifs. Ainsi sur Vinted il faut vendre, et donc acheter à la chaine ! Ce sont ainsi toujours plus de vêtements qui sont mis en ligne, chaque jour sur la plateforme, nourrissant ainsi le sentiment de FOMO (Fear of missing Out) qu’on reproche tant à la fast-fashion.

Mais attention, Vinted est bien loin d’être le seul à se jouer des rouages du marketing traditionnel pour nous pousser à consommer toujours plus. Dans une époque où il faut être incentif, pour ne pas dire agressif, même les plateformes se voulant plus engagées se voient obligées de jouer des “drops”. Ces sorties ponctuelles et “événementialisées” des pièces de seconde main chinées ont un succès certains sur les réseaux sociaux. Créant un sentiment d’urgence et d’évènement à ne pas rater, les pièces de seconde main qui devraient être l’objet d’un achat réfléchi deviennent alors des must-have instantanés, qui s’arrachent parfois en quelques secondes seulement. 

Tout cela sans même parler des grandes enseignes … Ces dernières années - voire mois - les marques historiques ont bien vu le phénomène de la seconde main leur grignoter des parts de marché. Des marques conventionnelles aux plus engagées, nombre d’enseignes proposent désormais leur propre sélection de pièces de seconde main. Certaines d’entres elles nous proposent même de récupérer nos importés en valorisant nos “retours” par des bons de réduction à valoir sur… de nouveaux achats neufs.

Ainsi, la seconde main est bel et bien entrée dans les rouages du marché, et du plus conventionnel qu’il soit ! Plus que nous accompagner vers un mode de consommation véritablement économique et raisonné, certaines enseignes en ont fait l’occasion de récupérer voire de gonfler de grosses parts de marché et… leur chiffre d’affaire !

 

La seconde main est-elle un démultiplicateur d’achats ?

© Cottonbro Studio

Appât des petits prix, effet rebond, incitations à l’achat de certaines enseignes qui se sont mises à la seconde main …. Au final, avec la montée du marché de l’occasion, avons-nous effectivement augmenté notre consommation ?

Comme vu en introduction de cet article, si l’on zoome sur les trois dernières années écoulées (de 2020 à 2022), on ne peut ainsi que constater que si, depuis 2020, le marché de la seconde main n’a fait que s’accroitre, la production et la consommation de textiles neufs n’ont pas pour autant diminué. C’est même l’inverse ! Cela veut-il dire pour autant que la seconde main est à l’origine de cette sur-consommation ?

Oui, nous dit une étude Kantar de 2019, soulignant que les consommateurs de neufs, qui consomment également de la seconde main, ont tendance à réaliser 7 actes d’achat supplémentaires par an, en comparaison aux acheteurs de produits uniquement neufs ! ❻ Un constat qui reste toutefois à nuancer. Tout d’abord parce que les bilans menés sur la dernière décennie montrent que, essor du marché de la seconde main ou pas, la tendance globale est au recul des ventes textiles, en valeur mais pas en volume. Ainsi, au cours de la période 2014-2019, les volumes consommés ont connu une croissance, de l’ordre de 7 %, dans un contexte de forte baisse des prix (- 8 %), rapporte une analyse Kantar x IFM. ❼ L’augmentation des volumes consommés est donc avant tout lié à une baisse des prix des produits vendus (coucou l’ultra-fast-fashion !).

En ce qui concerne uniquement le marché de la seconde main, les derniers chiffres parus sur 2023 tendent également à montrer que l’augmentation de ce marché, sur cette dernière année, n’a pas eu de répercussion directe sur un accroissement global de la consommation textile. En effet, malgré une hausse de 14% du marché de la seconde main, en 2023, on a pu constater que celle-ci est loin de compenser le recul des ventes de produits neufs. Ce sont ainsi 13 millions de produits supplémentaires d’occasion qui ont été vendus en 2023 vs. 2022, contre 52 millions de produits neufs en moins ! ❽

Marquée par l’inflation qui a touché tous nos foyers, l’année 2023 a en effet témoigné d’un net recul des ventes vestimentaires, en valeur comme en volume, avec -4% d’articles vendus. Dans ce contexte, la seconde main est apparu, pour beaucoup, comme une solution économique sans pour autant qu’il y ait automatiquement sur-consommation de produits textiles. 

À ce sujet, les dernières analyses menées par l’Institut Kantar montrent d’ailleurs que l’on peut distinguer des comportements de consommation différents chez les acheteurs de seconde main. Ainsi, l’habitué de la seconde main va certes avoir tendance à augmenter ses achats d’occasion (1 achat de plus en 2023 versus 2022) mais il va désormais diminuer ses achats de produits neufs (2 achats en moins en 2023 versus 2022). À l’inverse, les plus gros consommateurs de seconde main (celleux qui achètent plus de 9 produits de seconde main par an), vont avoir tendance à consommer davantage de produits neufs, à côté.

Tout ce que l’on peut donc déduire de ces données, c’est que les comportements sont divers et variés et que l’achat de seconde main est parfois un achat inutile comme il peut parfois entrainer une surconsommation chez certains individus, encore minoritaires. D’après l’étude Kantar, 3 millions de français.es sont ainsi de gros consommateurs de seconde main, ce qui représente environ 4% de la population française … ❽ Une minorité donc qui tend à démontrer que la majorité des consommateurs de seconde main ne sont pas des sur-consommateurs. 

 

Conclusion

En définitive, il est en tout cas sur d’une chose : pour le moment seul l’inflation et donc la diminution du pouvoir d’achat des français.es semble réfréner les dépenses des ménages dans le textile. Mais alors, n’en avons-nous donc que pour l’argent ? Eh bien pas vraiment …

Si le retranchement vers des solutions d’achat plus économiques se comprend tout à fait en période d’inflation et pour nombre d’entre nous (qui ne sommes pas Rottschild), l’appât des petits prix tend à diminuer dans nos priorités ces dernières années et celui de l’écologie, à grimper. Comme le nuance une étude menée par L’IFM, si “le prix reste le critère numéro 1 pour 68,6 % des Français (74,8 % en 2019), celui-ci perd du terrain au profit du caractère éco-responsable du vêtement (plébiscité par 48 % des Français, contre 43 % en 2019)”. ❾ Nos achats de seconde main sont donc de plus en plus réalisés par souci environnemental. Espoir donc !  

Nous voilà rassuré.e.s : à priori, nous sommes de plus en plus à concevoir l’achat de seconde main comme un achat éco-responsable et à le faire pour cette raison. Serait-ce d’ailleurs pour cette raison qu’en 2023 de plus en plus de français.es se sont tournés vers la seconde main sans pour autant démultiplier leur achat de première main ? L’avenir, peut-être, nous le dira… 

 

Sources :

❶ Julia Faure (Loom) : "La seule solution, c'est la sobriété: il faut consommer moins de vêtements", interview du 9 nov. 2022, AFP-Relaxnews, relayée par Fashion Network.

Rapport d’activité 2022 - Re_fashion.

Le marché de la mode en 2022. Quel bilan ? Quelles perspectives pour 2023 ?, IFM, 16 février 2023.

Étude Rakuten – IPSOS, octobre 2023.

Climate Change Impact Report, étude menée par Vaayu pour Vinted, 2021.

 Etude sur la mode éco-responsable, Première Vision x IFM, 2023.

❻ Les avantages et limites écologiques de la seconde main, Blanche Constant, L’Info Durable, 2023.

 Dix ans de consommation d’habillement en France, Kantar Division Worldpanel et l'Institut Français de la Mode, mai 2022.

La seconde main est-elle vraiment un modèle vertueux ?, Emma RUFFENACH, Fashion Network, 20 mars 2024.
Selon l’IFOP, les français feraient, en moyenne, 9,2 actes d’achats et 9,7 actes de ventes de seconde main, par an, tous secteurs confondus. 48% de ces transactions seraient des vêtements, ce qui représenterait en moyenne 4/5 vêtements achetés en seconde main par an et par personne. Infographie, le marché de la seconde main, IFOP, juin 2023.

Mode éco-responsable : l’heure de la reconnaissance, Première Vision Paris, 13 septembre 2023.

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